jeudi 10 novembre 2016

Noir

Être dans le noir. Broyer du noir. Voir flou. Ne plus avoir le goût.

Ça y est. C'est fini. Je ne sais pas pour vous, mais moi, ma saison est terminée. En fait, elle s'est terminée au bout du Monde. Seul. Avec mes pensées.


Le Bout du Monde, ça ressemble à ça. Et c'est magnifique.
C'est le genre d'endroit où tu veux te trouver le long de la dernière ligne.
Pour un dernier souffle. Immortalisé.


Ce qui à été la meilleure expérience de trail de ma vie s'est abruptement assombri tout d'un coup. Même moi, qui est de nature positive, a vu noir. Depuis le 24 septembre 2016, je ne cours plus.

En fait, pour être honnête, je me suis blessé. Bessé le corps. Blessé l'âme. Blessé la motivation. Blessé au genou. Mais blessé aussi ailleurs. Blessé sur le sentier de la vie, le seul qui compte vraiment aujourd'hui.

J'en ai peur. J'ai la jambe raide. Le genou grimace. Il ne veut plus avancer.

Un mal me ronge, tel la rouille se propageant. Créant une pression à peine perceptible, mais soudaine, tel une prise de conscience se moquant de moi. Le mal s'étend, faisant des ravages sur mes pensées et paralysant ma motivation. Je ne sais plus. Ernest, Jacques et Albert non plus.

Non, je ne cours plus, et mon corps entier commence à en ressentir les effets. Le confort n'est plus le même. La pensée broie du noir et l'âme est en peine… Six brouillons avant de trouver le bon. Peut-être même pas le bon…

La vie souffle à mon oreille, sa douce mélodie disparate. Elle me chuchote haut et fort de m'arrêter, de me terrer. De me reposer. Et je dois l'écouter. Car tôt ou tard, cette mélodie me criera à tue-tête de m'enfermer. De l'effacer, de disparaître.

Ces mots résonnent dans ma tête, dans mon corps et dans ma vie toute entière. J'ai quelque chose qui ne tourne pas rond. Comme chacun de nous, dit-on…

«Je pense à mon avenir. Mon avenir sans course. Mon avenir sans passion. Ou sans raison. Et je trouve ça dur. TRÈS DUR. Oui, il y a bien pire, et j'en suis conscient. Je suis vivant. Fonctionnel. Mais une partie de moi manque. Me manque. Elle brille par son absence, et je suis aigri. La passion édifiante à laissé sa place, peu à peu, à un doute perplexe, et désolant. Une chose est sûre. J'aurais du arrêter. M'arrêter. Et amputer la passion avant qu'elle ne m'ampute elle-même…»

La passion, elle ne s'enseigne pas. Elle se vit, au jour le jour, se construit, s'édifie, et est en constante évolution. Ce qui la rend si intéressante, c'est l'intensité avec laquelle elle se manifeste lors de victoires, de défaites, d'accomplissements ou de tergiversations... Elle est surnoise. Elle nous attends dans l'ombre, tapise et prête à rugir... La passion n'est pas sélective: elle est en tous et chacun, et se vit différemment. Elle est forte, mais peut montrer des signes de faiblesse. Elle crie fort et nous fait pleurer aussi. Elle nous transporte, nous laissant flotter au dessus des éléments, mais nous détruit aussi... lors de nos moments forts, mais aussi lors de nos échecs. Lors de nos déceptions. De nos blessures... qu'elles soient à l'âme ou physiques ou bien réelles.

Ma passion lutte pour sa survie. Elle me supplie de m'arrêter pour la laisser subsister. Elle me dit de prendre une pause, sinon elle me quittera pour de bon... Depuis le 24 septembre, ma passion est loin de me faire défaut. Elle me motive plutôt, à sa façon. Elle me permet de prendre du recul, et de voir en avant, tout en étant conscient de ce qui a été accompli. Elle privilégie la destination, enfin, je crois.

Quand écouter la passion?
Quand écouter la raison?
Et si les deux ne formaient qu'un?
Équilibre fragile mais inexorablement relié l'un à l'autre...

J'essaie de me faire confiance, pour une fois. Parce que oui, mon instinct me joue des tours. Depuis aussi loin que je ne me souvienne, les choix que j'ai faits m'ont tourmentés. Ferais-je le bon? Je laisse maintenant la vie en décider... Comme dirait quelqu'un que je connais bien, je la VIE, un jour à la fois.

Je reprends la course, timidement. J'écoute mon corps grincer, après plusieures minutes en suspends. Mais tout ça m'apparait comme une éternité. Tout m'apparait long. Une minute. Une journée, avant de faire un second essai, qui sera, lui aussi, dans la douleur et les pleurs. Il est sûr que mon âme rêve de jours meilleurs. Comme mon corps. Ma motivation.

Une chose que j'ai acquise avec le temps et que je me sers dans la vie de tous les jours, est d'apprécier ce qui m'est offert. Respirer. Voir. Sentir. Toucher. RESSENTIR. Se laisser impreigner. De ce qui nous entoure. De jeter un regard attentif, captif, sur les éléments. De pouvoir arrêter, un instant, et de réaliser la chance que j'ai de pouvoir vivre, tout simplement.

Figé dans le temps, mon âme catatonique est inondée par la beauté éphémère de l'instant présent...

Tu me manques. Ton endorphine me drogue et sache que je ne te boude que pour une bonne raison. Je suis lié à toi. Et toi à moi. Un PACTE. Tout simplement. La joie, c'est de pouvoir profiter de toi encore longtemps, longtemps, longtemps. Qui sait quand je pourrai enchainer les flexions perpétuelles de manière irréfléchie? Qui sait quand la passion basculera dans la lumière... Qui sait?